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(Re)construire le récit de la crise anglophone au Cameroun : structures, silences et mémoires

Élisabeth Arsenault

Département d’anthropologie, Université Laval, Canada.

elisabeth.arsenault@flsh.ulaval.ca

Résumé     Cet article pré-terrain aborde l’une des crises actuelles qui secouent le Cameroun depuis les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, à partir de la « question anglophone » qui la sous-tend depuis l’indépendance du pays. À travers un exercice d’écriture et de réflexion, je cherche à poser un nouveau regard sur la structure sociale camerounaise pour mieux cerner la construction et les rapports entre les communautés anglophone et francophone. D’une part, la contextualisation historique effectuée autour de la question latente de la marginalisation des Anglophones donne à voir, grâce à un jeu d’échelles, des relations sociales complexes et contradictoires en regard de leur configuration actuelle dans la crise. D’autre part, l’analyse situationnelle m’amène à discuter des processus mémoriels et des régimes d’historicité en tension qui forgent implicitement la question et sa crise.

 

Abstract    This pre-fieldwork article addresses one of the current crises shaking Cameroon from the Anglophone regions of South-West and North-West, using the 'Anglophone question' underpinning it since the country's independence. Through this writing and reflection exercise, I sought to take a new look at the Cameroonian social structure to understand better the construction and relationship between the Anglophone and Francophone communities. On the one hand, the historical contextualization carried out around the latent question of the marginalization of Anglophones reveals, thanks to an interplay of scales, complex and contradictory social relations regarding their current configuration in the crisis. On the other hand, the situational analysis leads me to discuss the memorial processes and regimes of historicity in tension that implicitly shape the question and its crisis.

 

Mots clés    Cameroun; crise anglophone; récit historique; régimes d’historicité; situation coloniale

Introduction

 

Dans son texte fondateur, Gluckman (1940) propose de réfléchir à la situation coloniale à partir de la description dense d’un événement – dans son cas, l’inauguration d’un pont au Zoulouland. Son analyse situationnelle révèle la structure sociale de cette unité coloniale qui parvenait, toujours provisoirement, à se tenir en équilibre malgré des contradictions sociales fondamentales. Balandier (1951) approche aussi l’analyse de la situation coloniale depuis l’échelle événementielle, mais par le biais des crises. Pour lui, ces « moments où l'antagonisme et la distance existant entre [les sociétés colonisées et coloniales] sont maxima » affectent l’ensemble de la société globale qu’elles forment, et catalysent les différentes dimensions qui supportent tout comme transforment sa structure sociale. S’y intéresser offre donc une porte d’entrée pour saisir en profondeur les « manières d’[y] être liés » (1951, 73-79). À leur instar, bien d’autres soulignent que cette entreprise d'intelligibilité et d’exhaustivité de situations sociales complexes ne peut être effectuée de manière critique sans un recours à l’histoire. Entre autres, ce recours s’élabore autour d’une contextualisation historique selon les divers niveaux de lecture requis par les situations elles-mêmes (Balard 2003 ; Barth 1978 ; Ekholm Friedman et Friedman 2011 ; Lepetit 1993).

 

Partant de ces propositions méthodologiques, je propose une analyse situationnelle pré-terrain de l’une des crises secouant le Cameroun, la crise dite anglophone. Il s’agit de mieux comprendre, au préalable, la structure sociale globale de ce pays dans lequel se déroule mon terrain ethnographique – l’aide humanitaire destinée aux réfugiés et aux personnes déplacées internes au Cameroun étant au cœur de ma recherche et se liant aux répercussions de cette crise. D’une part, ce conflit civil, dont l’escalade de violence débute en 2016 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, est devenu la principale cause de déplacements forcés dans le pays. D’autre part, parmi les nombreux conflits secouant le Cameroun, la crise anglophone se présente a priori comme la perturbation qui ébranle structurellement le plus l’État-nation (Keutcheu 2021). C’est elle qui correspond alors au mieux aux caractéristiques des crises de Balandier (1951), mais aussi aux composantes théoriques relevées par Morin (1976) ou encore Koselleck et Richter (2006). En l’occurrence, l’état de crise observé se manifeste comme un « phénomène de surcharge » (Morin 1976, 157). La crise anglophone a en effet un référent historique explicite, la question anglophone, décrite comme un problème latent du Cameroun indépendant, un antagonisme dans lequel s’opposeraient les Anglophones, la minorité sociologique du pays, et les Francophones[1].

 

Or, en présentant la crise anglophone comme une situation au bord de la guerre civile à un collègue vivant à Yaoundé, il me confie, tout surpris : « C'est toi qui m’informes. Je n'ai pas connaissance de cette réalité ». Ce décalage entre événement sociohistorique et médiatique et non-événement pour un Camerounais francophone suscita sur le champ des questionnements sur ce que pouvait bien représenter, finalement, la crise anglophone, et sa racine, la question anglophone, et pour qui. En quoi le basculement de la question latente vers la crise actuelle peut-il m’éclairer sur la structure sociale globale du Cameroun alors qu’il peut sembler marginal aux yeux des Francophones ?

Méthodologiquement, je me suis d’abord inspirée du jeu d’échelles suggéré par Ravel (1996), qui réfère à l’articulation des différents ordres des systèmes sociaux et des niveaux d’analyse les plus propres à rendre raison de la construction du social. Faute d’un accès à un fonds archivistique, je me suis appuyée sur la littérature scientifique et les textes médiatiques, deux types de données qui impliquent une limite dans ma capacité à approfondir certaines échelles et points de vue. C’est pourquoi j’ai aussi opté pour une forme d’écriture micro-historienne[2], dans ce qu’elle a d’expérimentale et de réflexive, pour suivre le fil des indices et les réseaux de relations qui se nouent à la question anglophone dans le temps long (Ginzburg et Poni 1981). Mon objectif est ainsi de mieux comprendre l’événement qu’est la crise anglophone et, plus largement, la structure sociale du Cameroun. Et c’est par l’événement lui-même que mon enquête débute.

Le basculement vers la crise 

 

Mes recherches sur l’événement, délimité au passage de la question à la crise anglophones, commencent par ce que les médias, autant camerounais qu’étrangers, ont couvert et présenté à son sujet. En voici le fil des événements :

 

À la fin de l’année 2015, dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, des avocats anglophones émettent conjointement des critiques vis-à-vis du système judiciaire d’héritage anglo-saxon dans lequel la langue du tribunal ne respecte pas celle de la majorité de la population, l’anglais. Réclamant entre autres la traduction du Code de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, ils s’insurgent contre l’invasion du droit romain au détriment de la Common Law (Fotso 2016). Aucune de leurs revendications n’est alors considérée par le Gouvernement. Le 11 octobre 2016, à Bamenda, le regroupement d’avocats déclenche une grève, faisant rapidement tache d’huile jusqu’aux syndicats des enseignants qui se joignent au mouvement gréviste le 21 novembre « pour défendre leurs particularités culturelles devant les Francophones » (Foute 2019). Ils sont ensuite suivis par des étudiants à Buea qui déplorent les discriminations dans leurs perspectives d’avenir, limitées en raison de la langue de l’administration, le français. Ainsi tous ces groupes sont rassemblés par « de[s] décennies de marginalisation par le gouvernement central et la majorité francophone » (BBC News 2020). Le Président Biya décide de répondre par la force armée ; toutes les manifestations suivantes sont matées dans la violence. Puis, toutes les entreprises, écoles et certains services publics sont fermés pour une durée indéterminée. Les images de cette répression qui se mettent à circuler poussent l’État à couper Internet de janvier à avril 2017, ce qui ne tarit pas la mobilisation sociale, au contraire (Cascais et Flotat-Talon 2021).

 

Alors que le nombre de grèves augmente au cours de l’année 2017 comme le nombre de blessés et de morts, les mobilisations d’abord corporatistes se transforment en demandes politiques appelant une plus grande autonomie ou décentralisation. Cette politisation du conflit répond, sans surprise pour plusieurs, à l’approche violente et sans compromis du gouvernement et provoque la résurgence d’enjeux identitaires issus de l’histoire coloniale du pays (Chimtom 2020). Catalysant vivement l’imaginaire associé à la question anglophone qui perdure depuis l’indépendance, la situation engendre ainsi un basculement vers un état de crise politique et sociale. Les mesures coercitives du gouvernement poussent en effet plusieurs activistes anglophones à remettre sur l’échiquier politique le fédéralisme (système politique appliqué de 1961 à 1972), alors que d’autres, plus radicaux, demandent la sécession des deux régions anglophones. Ces derniers s’organisent rapidement en divers groupes, dont plusieurs groupuscules armés et certains financés par la diaspora anglophone, envenimant la situation dans les régions. Les revendications se diversifient et les pressions prennent entre autres la forme d’opérations « villes fantômes[3]» (Bennett 2017). Biya leur déclare la guerre, mais entame tout de même certaines démarches pour imposer une accalmie (The Herald 2017). Toute décision qui mettrait à mal l’unification du pays est néanmoins hors de question ; chaque proposition en ce sens est perçue comme une attaque pour le Président (NGon 2017).

 

Le 1er octobre 2017, les groupes sécessionnistes, accompagnés par des milliers d’Anglophones qui prennent d’assaut les rues, proclament symboliquement l’indépendance de l’État d’Ambazonie. « Today, we reaffirm our autonomy over our heritage and over our territory », écrit le Southern Cameroons Ambazonia Consortium United Front sur Facebook (Essa 2017). C’est une fin de non-recevoir pour le Gouvernement et un événement de taille pour la reprise des violences, cette fois-ci beaucoup plus diffuses. Les sécessionnistes, parmi lesquels se trouvent désormais des groupes de bandits, accentuent en effet les violences dans les deux régions envers des acteurs qui ne sont pas aussi radicaux qu’eux. Des déplacements forcés sont alors comptés en centaines de milliers de personnes vers l’intérieur du Cameroun ou vers le Nigéria (Cascais et Flotat-Talon 2021). En parallèle, des efforts militaires sont déployés par l’État pour gérer l’avancée de Boko Haram dans l’extrême nord du pays, ce qui permet à Biya d’organiser, puis de remporter la campagne présidentielle de 2018 autour de la nécessité de conserver une unité nationale capable de maintenir le statu quo malgré les menaces et dissensions (Chimtom 2020). Les coupures d’Internet, les luttes armées dans plusieurs villages, l’isolement des deux régions du reste du pays et les critiques devenues autant politiques qu’économiques – notamment en lien avec leurs réserves de pétrole – ne cessent d’augmenter dans les mois suivants (Foute 2019).

 

Dans cette présentation médiatique de la crise, l’événement mobilise explicitement plusieurs temporalités du passé où les relations sociales semblent claires : la période coloniale sous les Britanniques et les Français, celle du fédéralisme et le temps long de la construction bancale de l’État-nation camerounais. Mais cette échelle d’observation fait peu mention des Francophones alors qu’elle problématise la crise depuis un récit globalisant et téléologique. Dans ce dernier, la cause axiomatique est la réunification souveraine mais inégale du Cameroun à l’heure de la décolonisation britannique et française. Qui plus est, cette échelle sous-entend cette seule historicité légitime pour expliquer l’événement. Qu’en est-il, par exemple, des soixante ans qui suivent cette période ? La question anglophone, entendue comme la marginalisation des Anglophones, est-elle demeurée continuellement conforme et uniforme ? Comment expliquer le double niveau de lecture de l’événement, soit l’appréhension généralisée de la crise comme étant une trajectoire attendue, et l’incompréhension des populations nationales et internationales vis-à-vis de sa configuration inouïe ?

La question anglophone ou la production d’un récit historique

 

Comme Ballard (2003) le souligne, comprendre un événement dont l’historicité renvoie à un débat à la fois politique, symbolique et culturel nécessite de prendre en considération le temps long des réinterprétations et l’économie politique des savoirs dans les processus d’interprétation et d’historisation. D’emblée, en m’écartant de la temporalité restreinte de la crise, je tombe dans celles de la question anglophone qui, a contrario de l’homogénéité suggérée par les médias, varient dans la diachronie et sont ponctuées d’inconséquences au regard de ce qu’elle arbore aujourd’hui. Pourquoi alors ne pas considérer la question anglophone comme un récit historique et, donc, la crise actuelle comme le « dernier maillon » de celui-ci (Bazin 2008, 272) ? En construisant la question tel un récit historique, bel et bien fondé sur la transmission orale de « textes » (Vincent 2013, 77) portant sur la marginalisation des Anglophones au Cameroun, je peux recourir à la « sociologie des récits » (Bazin 2008). Pour cette dernière, Bazin (2008) invite à étudier leur production, les différentes conditions de leur narration en contexte, les intérêts des narrateurs au cours de la formalisation du récit et ceux des lectorats respectifs. De plus, comme le constatent Bensa et Fassin (2002), la mémoire orale comme écrite témoigne de la constitution d’un événement et de sa traduction historique autour des conditions qui expliquent comment et pourquoi il y a eu réorganisation sociale.

 

Deux questions s’entrelacent pour suivre le « processus d’archivage de l’information » (Vincent 2013, 85) depuis son point de départ « attendu », situé à la fin des années 1950, lorsque se jouait le sort du Cameroun français et du Cameroun britannique (Keutcheu 2021). Ce dernier était alors subdivisé en deux entités : le Cameroun septentrional et celui qui nous intéresse ici, méridional. 1) Comment des situations sociales[4] particulières ont eu des effets sur le contenu de la question anglophone ? 2) Et, inversement, comment cette question transmise au fil des décennies a influencé leurs différentes configurations sociologiques, les imaginaires politiques qui en découlent et la teneur des mémoires transmises ? En d’autres mots, afin de saisir les (ré)interprétations de la mise en récit entre 1960 et 2017, après en avoir décortiqué la genèse, je me concentre également sur la période coloniale – surtout que peu d’études semblent faire un point explicite entre elle et la crise.

 

La genèse de la crise à l’aube des indépendances ?

 

Depuis le début de ce texte, j’ai fait référence à l’accession à l’indépendance du Cameroun au pluriel (les indépendances) pour expliciter que le pays actuel est le fruit d’une décolonisation en deux temps et au terme de luttes parallèles (Konings 2005). Après la Seconde Guerre mondiale, les mandats coloniaux sur le Kamerun allemand (1884-1916), accordés aux Britanniques et aux Français en 1922 par la Société des Nations, sont transformés en tutelle en 1946 avec la création de l’ONU[5] – qui jouera donc un rôle conséquent dans l’avenir de ces territoires (Koungou 2018). Considérant que chaque territoire colonial a connu une décolonisation particulière (Bayart et Bertrand 2006 ; Sciardet 2002), j’opte pour une lecture séparée des mouvements indépendantistes, puis pour une mise en dialogue des similarités et relations tissées en travers de la « frontière ». Car la nouvelle structure sociale semble s’établir à mesure que celle de la situation coloniale tend à s’émousser.

 

Au Cameroun méridional

 

Du côté du Cameroun méridional, l’historiographie montre que des mouvements politiques pour une plus grande autonomie vis-à-vis du régime colonial britannique émergent dès les années 1930. C’est comme si, stimulés par la présence de migrants nigérians et camerounais francophones venus y travailler suite aux nouvelles politiques coloniales de développement, les conflits qui découlent de la réorganisation des chefferies locales et des rapports de pouvoir formalisent les aspirations politiques (Mbembé 1986). Pour Konings (2005), ces prises de parole sont surtout le fruit d’une réaction à la tentative des Britanniques d’intégrer le Cameroun méridional à sa colonie du Nigéria[6]. En conséquence, les Camerounais ont la forte impression que c’est le Nigéria et non pas la Grande-Bretagne qui est la puissance coloniale les dominant. Cette nuance est fondamentale pour la mise en place de la question anglophone à venir, au cœur de laquelle la défense de l’héritage britannique peut sembler intempestive – les Britanniques sont peut-être ainsi, dès le départ, très peu perçus comme les responsables de leur marginalisation. De plus, ce sentiment de marginalisation semble précéder la réunification avec les Francophones et, conséquemment, la mémoire qui s’attache à cette expérience était déjà travaillée au moment de la mise en récit qui démarre des décennies plus tard.

 

Les revendications ne sont institutionnalisées qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a eu d’importants impacts sur les populations camerounaises – même si ces dernières étaient moins mobilisées pour le front que d’autres colonies africaines (Memoli-Aubry 2009). En effet, les réformes administratives d’après-guerre au Nigéria donnent aux leaders locaux, comme Emmanuel Endeley et John Ngu Foncha, les moyens légaux et administratifs pour réclamer l’émancipation du Cameroun méridional du « système colonial britannico-nigérian » (Konings 2005, 281 ; Torrent 2005). Alors qu’Endeley approche la décolonisation en des termes peu indépendantistes, Foncha porte cette cause à l’Assemblée d’une manière bien particulière : il menace les autorités britanniques d’une réunification avec le Cameroun français, ce qu’illustre explicitement le recours à l’orthographe allemande « Kamerun ». Cette menace n’était que pression et non pas promesse politique, car il était très conscient qu’une telle réunification n’avait guère de sens pour une partie importante de la population, attachée aux normes britanniques. L’important pour lui était d’abord l’indépendance (Awasom 2002 ; Konings 1996). Cette allusion explicite à la précédente colonisation m’interpelle tout de même ; j’y reviendrai.

 

En 1959, dans le contexte de la décolonisation, les deux hommes sont invités à statuer sur l’avenir du territoire qui, depuis le début de la décennie, est l’objet de négociations aux Nations Unies. Son statut de tutelle et son territoire restreint[7] pèsent considérablement puisqu’ils deviennent des prétextes pour lui refuser une indépendance pleine. L’ONU, rejetant une « nouvelle balkanisation des territoires coloniaux africains », propose en effet deux options finales en 1960 : rejoindre la Fédération nigériane ou la République du Cameroun, devenues indépendantes cette année-là (Crisis Group 2010, 6). Pour revenir à l’analyse de Konings (2005), la signification du résultat du plébiscite de mars 1961, où 70 % de la population a voté en faveur d’une réunification avec la République du Cameroun, s’inscrit avant tout dans le nationalisme s’étant développé à l’encontre de l’Autre nigérian, très présent et dominant économiquement et administrativement au Cameroun méridional[8].

 

Au Cameroun français

 

Du côté du Cameroun français, la lutte pour l’émancipation prend une tout autre couleur, moins diplomatique, en particulier parce que le régime colonial y est beaucoup plus violent et présent. Dès le début, les politiques de développement outrepassent les conditions du mandat en s’appuyant sur le code de l’indigénat (1924) qui légitimait le travail forcé et l’accaparement des terres (Tatsitsa 2020). De plus, elles réitèrent les ententes passées entre les Allemands et les chefs locaux, entre autres ceux du nord qui ont pu conserver leur autorité en échange de tributs payés et d’une reconnaissance formelle de la domination coloniale, à l’inverse du sud où cette dernière n’a pas eu besoin de tels intermédiaires (Deltombe, Domergue et Tatsitsa 2011). Un clivage de l’expérience coloniale[9] s’observe alors et se matérialise au niveau politique et social, mais aussi religieux[10], car, exclus des structures administratives, les Camerounais s’organisent en premier lieu autour des églises pour émettre leurs demandes d’autonomie politique[11].

 

C’est justement au sud que les premiers mouvements anticoloniaux se forment et que l’Union des Peuples du Cameroun (UPC), le principal parti politique indépendantiste et nationaliste, prend racine en 1948 (Mbembé 1986). L’expérience de la Seconde Guerre mondiale a pour effet d’accélérer la prise de conscience critique de la situation coloniale et de développer des discours nationalistes attachés aux cultures locales, lesquels s’arriment à ceux d’autres colonies africaines françaises stimulées notamment par l’approche « libérale » de De Gaulle (Deltombe, Domergue et Tatsitsa 2011). Toutefois, d’autres courants de pensée existent, portés par des groupes qui défendent les apports de la colonisation en ce qu’elle aurait stabilisé la société camerounaise en apportant « la liberté de parole et d’expression, ainsi que celle d’adorer Dieu », comme l’écrit le Président Honoraire de la Coordination des Indépendants du Cameroun au Secrétaire Général de l’ONU[12] en 1954 (Mbembé 1986, 42). C’est à partir de cette branche que des partis dits plus modérés s’organisent et reçoivent de facto l’appui de la France. Parmi ces partis, l’Union nationale camerounaise s’est imposée, avec à sa tête Ahmadou Ahidjo. Ce dernier est institué Premier ministre en 1958 par les Français, puis Président de la République du Cameroun en 1960 (Awasom 2002).

 

M’inspirant de la critique de l’historicisme de Chakrabarty (2009), j’appréhende le développement des mouvements revendicateurs dans son rapport en tension avec la pensée européenne, qui se joue à deux niveaux : celui des élites et celui des classes populaires. En conséquence, la lutte ne s’observe pas qu’entre partis politiques mais aussi entre l’élite indigène locale et le reste de la population (Konings 2005; Koungou 2018). Selon Mbembé (1986), la tradition intellectuelle indigéniste porteuse de l’historicité des identités ethniques et régionales ainsi que la tradition nationaliste moderne se sont imbriquées lors d’un « processus de traduction » (Chakrabarty 2009, 54) porté par l’UPC et consolidé autour de sa figure principale, Ruben Um Nyobé. En gagnant de plus en plus de membres du sud au nord[13], mais aussi au Cameroun méridional (Konings 2005), le mythe upéciste d’une unité originelle du Cameroun s’est imposé. Cette unité, certes construite, ne s’ancre pas dans le temps précolonial, mais dans celui bien précis de la colonisation allemande, car l’un des projets nationalistes était la réunification « des ‘deux lambeaux’ du ‘Kamerun allemand’ » (Mbembé 1986, 45).

 

L’État colonial français réagit très fortement face à la montée en popularité de l’UPC et ses grèves décuplées, en s’engageant dans une violente répression pour défendre ses intérêts au Cameroun. En effet, son attachement est fort malgré une présence de moins de quarante ans ; il s’y trouvait à cette époque plus de 17 000 colons[14]. Après des réformes administratives et les émeutes upécistes de mai 1955, une « guerre totale » est déclenchée au Cameroun français, où la population se divise entre pro-Français et pro-upécistes. En vain, des dizaines de milliers de Camerounais ont péri au nom d’une indépendance qu’ils souhaitaient en leurs termes (Deltombe, Domergue et Tatsitsa 2011)[15]. Cette réactivité de l’État colonial, qui a duré jusqu’en 1971[16], me fait réaliser le silence, voire l’absence des Britanniques à la fin de la décennie. C’est comme s’ils avaient soudainement disparu, alors que c’est autour de leur héritage que s’est consolidée la question anglophone.

 

Le 1er janvier 1960, l’indépendance est accordée à un Cameroun français meurtri, pour laquelle Ahidjo a réussi à utiliser les exactions de l’UPC pour recevoir l’appui de l’ONU et s’accaparer l’ensemble des pouvoirs exécutifs. La pupille des Français, comme le pensent plusieurs Camerounais (Konings 2005), promulgue une constitution calquée sur celle de la Ve République française et signe tous les premiers accords économiques, diplomatiques et judiciaires avec eux, faisant de la République du Cameroun un État en continuité directe avec le régime colonial français aux caractéristiques centralisatrice, autoritaire et assimilationniste (Torrent 2005). Ainsi, lorsque Foncha approche Ahidjo au cours de l’année 1960, tous deux forcés de discuter d’une potentielle réunification et jaloux de leurs héritages coloniaux respectifs, c’est à un homme souverain qu’il doit se frotter. Comme Awasom (2002) le met en évidence, le diktat de l’ONU empêche toute discussion constitutionnelle approfondie, ce qui, en sus du rapport inégal de pouvoir entre les deux hommes/entités politiques, joue en faveur d’Ahidjo. Certes, ce dernier accepte de rebâtir la République du Cameroun en un État fédéral, octroyant l’autonomie et la conservation de la tradition anglo-saxonne souhaitées par les Camerounais méridionaux. Mais, en réalité, lorsque la réunification est proclamée le 1er octobre 1961, le fédéralisme n’est qu’une apparence bien camouflée – une position intéressante pour Ahidjo, Président, et Foncha, Vice-Président, qui doivent consolider et apaiser les tensions faisant rage dans leur nouvel État postcolonial (Aboya Endong 2014).

 

Ainsi, je propose l’idée que les racines du récit historique ne renvoient pas à sa narration actuelle, entrant plutôt en contradiction avec elle. L’important est que, si on y retrouve les mêmes revendications (autonomie, indépendance, reconnaissance et préservation des traditions britanniques, etc.), celles-ci ne sont pas adressées aux mêmes acteurs. À la racine, les Nigérians, l’ONU et aussi les Britanniques sont perçus comme les responsables de leur marginalisation alors que les Camerounais francophones et leurs chefs s’avèrent des alliés de taille pour leur émancipation. Qui plus est, la sensation d’être une minorité au moment de leur indépendance est alors ressentie comme une donnée uniquement démographique et non pas sociologique (Balandier 1951). Ces décolonisations sont donc la phase de « mise en place » du récit. Une certaine structure sociale s’instaure dans cette nouvelle unité sociale qu’était la République fédérale du Cameroun avec une dynamique d’action et de réaction vis-à-vis de la configuration des rapports sociaux.

Retour aux sources

 

Avant de poursuivre chronologiquement le processus d’historisation du récit, un hiatus régressif s’impose. En constatant ce recours aux références de l’époque coloniale allemande, autant chez les Camerounais francophones qu’anglophones, je reviens sur cette période précédant celle qui a permis l’existence de la question anglophone. À contre-sens de plusieurs chercheurs de la crise anglophone qui ont minimisé cette période, je tente de voir ce que la colonisation allemande représente pour les deux communautés, mais surtout ce qu’elle implique dans le processus mémoriel et dans les différentes historicités qui ont connoté les sens du récit et lui ont permis d’être transmis d’une manière bien particulière.

 

Le 12 juillet 1884, des représentants de deux compagnies commerciales allemandes signent un traité avec deux chefs traditionnels douala, dans l’actuelle province du Sud-Ouest, donnant au gouvernement allemand de Bismarck la possession juridique de leurs terres (Sandjè 2016). Les Allemands, en prévision de la Conférence de Berlin qui devait se tenir dans les mois suivants, se dépêchent d'élargir les frontières de ce nouvel espace colonial contre les avancées limitrophes des Français et des Britanniques, s’accaparant les terres de la centaine de groupes ethniques y habitant (Owona 1973). Cette expansion donne, dès 1894, la forme actuelle du territoire camerounais ainsi que sa configuration économique caractérisée par de grandes plantations sur la côte méridionale et par des industries autour de l’actuelle ville de Douala. En 1884, le Kamerun, nom donné à ce protectorat, devient une entité politique et territoriale en termes européens (Sandjè 2016). Si les Allemands y développent une administration coloniale en apparence indirecte, du fait qu’ils utilisent les chefs locaux pour faire imposer leur autorité, ils font plutôt usage d’une violence directe et administrative, à travers les politiques de développement qui précarisent les populations locales, les déciment ou leur volent leurs terres provoquant des déplacements forcés massifs (Tatsitsa 2020).

 

Pourquoi le recours à ce passé fait-il fi de l’ampleur de la violence qui s’est déployée sur ce territoire? Et pourquoi réfère-t-il à l’idée d’une unité originelle, alors que le régime allemand a favorisé les divisions ethniques par son cadre administratif hiérarchique? C’est en termes de mémoires, de souvenirs (factuels ou non) de l’expérience allemande, mobilisés en regard de leur contexte d’énonciation, qu’il faut considérer ce passé. Comme le souligne Wachtel (1967), les processus de légitimation des acteurs mettent en avant des éléments historiques qu’ils considèrent comme des justifications. La rhétorique constante sur cette histoire coloniale « du passé » laisse donc penser que le rapport à la souveraineté et au territoire camerounais s’y appuie, prolongeant l’influence du Traité de 1884 dans l’ordre social camerounais (Sandjè 2016). En effet, ponctuellement, dans la période postcoloniale, le référent allemand fait partie des discours des groupes porteurs de mémoires, qu’ils soient anglophones ou francophones, ou de l’État dans son travail de légitimation unitaire (Keutcheu 2021; Konings 2005). Les Anglophones comme les Francophones n’ont donc pas eu besoin de transmettre le traumatisme de cette colonisation. Au contraire, ce que j’en conclus, c’est qu’un sentiment « transfrontalier » d’appartenance s’est développé a posteriori vis-à-vis de l’entité territoriale colonisée par les Allemands – que j’associe alors au concept de « communauté imaginée » d’Anderson (1991). Cette communauté, et elle seule, semble s’être transmise et narrée vis-à-vis tantôt des colonisateurs tantôt de l’État. À cet égard, Memoli-Aubry (2009) souligne qu’à l’arrivée des Français, nouveaux colonisateurs, plusieurs groupes locaux étaient résolument germanophiles et persistaient à défendre leur attachement jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’illustrent les propos d’un Camerounais : « les Français dépouillent. Les Allemands, au contraire, enrichissent les Noirs et leur apprennent comment on gagne de l'argent… Comme les Allemands vont arriver, je vais construire vite une maison en ville pour y loger les Blancs que Hitler va envoyer » (Memoli-Aubry 2009, 242). Sans surprise, l’État français a déployé plusieurs stratégies de force pour enrayer cette « germanophilie », dont certaines rappellent celles utilisées plus tard par Ahidjo et Biya à l’encontre de l’anglophonie (Keutcheu 2021).

 

Ainsi, de la mise en récit de la question anglophone se dégage une certaine structure d’appels aux mémoires colonisées, lorsqu’enjeux politiques il y a. Cette dynamique laisse penser qu’elle dépasse le cadre de la question, mais est partagée par l’ensemble des groupes porteurs de mémoires au Cameroun. Un phénomène particulier de la période postcoloniale offre un bel exemple de cette dynamique faisant intervenir le passé colonial dans les revendications de défense des droits. Le principal parti d’opposition, le Social Democratic Front, fondé en 1990, a basé sa légitimité politique et son discours sur les liens historiques de ses leaders[17] avec l’aile anglophone de l’UPC, le One Kamerun Party (Krieger 2008). Dans cette optique, dès les années 1950, se sont sûrement consolidées des filiations politiques et symboliques de chaque côté de la frontière tutélaire[18]. Et puisque ces filiations se sont perpétuées dans le temps, à l’échelle des mobilisations pour des avancées démocratiques, le clivage Francophones/Anglophones semble finalement s’estomper, ce qui nuance en retour l’anglophonie essentialiste de la question anglophone.

           

De la mise en récit sous Ahidjo à la mise en action sous Biya

 

Je reviens brièvement sur la période postcoloniale durant laquelle s’inscrit la véritable narration du récit de la marginalisation des Anglophones[19]. Cette période, qui s’étale de 1961 au récit actuel, est ponctuée de nombreuses énonciations qui se constituent en miroir des modifications politiques. J’établis deux phases successives dans son processus d’historisation, la mise en récit sous Ahidjo (1961-1982), puis la mise en action sous Biya (1982-), à partir des jeux de relations en différentes situations sociales avec comme trame de fond la continuité du pouvoir de l’Union nationale camerounaise[20].

 

Comme abordé ci-haut, Ahidjo ne fait pas l’unanimité aux yeux de la majorité des populations, qu’elles soient anglophones ou francophones, en particulier celles du sud pour qui il est l’incarnation locale de l’État colonial français (Bayart 1981). À la tête de la jeune République fédérale du Cameroun, effervescente d’oppositions, le Président passe les dix premières années de son règne à établir son projet hégémonique d’un État qu’il veut unitaire et francophone. En contrepartie, les premières frustrations des Anglophones sont soulevées en termes de « traitement différentiel de l’héritage colonial des deux républiques fédérées » (Keutcheu 2021, 7). La mise en récit s’amorce donc comme une remise en cause de la promesse d’autonomie que les Anglophones ont cru recevoir d’Ahidjo lors de leur indépendance manquée. Mais sa constitution est parallèlement étouffée puisque la dé-fédéralisation menée par Ahidjo se matérialise aussi dans un régime totalitaire[21], très violent et intransigeant de tout opposant. Sa  « politique du ventre » est aussi d’une efficacité redoutable, cooptant l’élite anglophone qui préfère avoir une place auprès du pouvoir plutôt que de perdre toute voix au chapitre politique (Aboya Endong 2014 ; Bayart 1981 ; Eboua 1995). Selon Keutcheu (2021), le régime d’Ahidjo est encore moins bien toléré que celui des Britanniques – qui, une fois encore, voient leur régime absous – car la centralisation ne respecte plus la technique d’administration britannique indirecte basée sur les autorités locales. Le Président a plutôt imposé d’autres types de découpages administratifs et d’organisations politiques, calqués sur la Constitution française et basés sur ses besoins centripètes. Ces techniques sont d’ailleurs reprises par Biya, notamment celle du découpage, en 1996, qui voit la création des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, lesquelles présentent dès lors des divergences et éprouvent l’une envers l’autre des ressentiments notamment économiques (Konings et Nyamnjoh 2003).    

 

Afin que le régime d’Ahidjo maintienne son hégémonie politique, d’une modification constitutionnelle à l’autre jusqu’au référendum truqué de 1972, le fédéralisme demeure une réalité sociale et encourage la cristallisation et la distribution des identités de Francophones et d’Anglophones, désormais élevées au rang d’ethnonymes (Keutcheu 2021). Au sein de cette transition, où les Anglophones sont progressivement aliénés au pouvoir central et francophone, une assimilation (discursive, perceptive, réelle à certaines échelles) se produit entre l’« État » et les « Francophones ». Sans supposer qu’ils ont été construits en bouc-émissaires, il me semble que la manière dont les Anglophones narrent leur sentiment de marginalisation généralise l’Autre français à l’aune de son élite. Inversement, dès l’indépendance, des clivages importants se développent parmi les Anglophones selon leur position sociale, politique et économique, de l’acceptation silencieuse à la demande sécessionniste (Aboya Endong 2014).

 

En 1972, date de la création officielle de l’État unitaire au Cameroun, la question anglophone est ainsi formalisée devant le fait accompli, car leur marginalisation est explicitée constitutionnellement. Si les populations anglophones mettent en mots et, dans une moindre mesure, en actes leur mécontentement, elles sont constamment brimées par Ahidjo (Eboua 1995). La mise en récit se dessine alors de manière ombragée, mais profite par la suite de chaque occasion de « faiblesse » étatique pour sortir en force ; c’est ce que la période qui voit arriver au pouvoir Biya, Vice-Président d’Ahidjo depuis 1972, instaure. Celle-ci marque le côté cyclique de la narration, produisant du côté du récit et du côté du Gouvernement l’impression de « changements dans la continuité » (Crisis Group 2010).

 

Juste après son accession à la présidence, en 1984, Biya prend une mesure symboliquement violente aux yeux de nombreux Anglophones. Il change le nom du pays en enlevant l’adjectif « fédéral » pour ne conserver que « République du Cameroun », soit l’appellation du Cameroun avant sa réunification en 1961. Il est déjà clair que celui qui s’assoit sur le siège du pouvoir en proclamant pourtant un vent de changement politique et social continuera le régime de son prédécesseur, dont les multiples dispositifs de francisation. Par conséquent, y persisterait la « phagocytose des Anglophones par les Francophones » (Keutcheu 2021, 7). Or, malgré la continuité du régime, une nouvelle ère politique, davantage influencée ou touchée par la politique internationale (ajustements structurels, mouvement de démocratisation des pays africains, etc.) et par le processus de libéralisation, encourage un agrandissement de l’espace politique favorable à la consolidation de groupes sécessionnistes ou irrédentistes (Konings 2005).

 

Plusieurs événements nationaux (crise économique à la fin des années 1980, etc.) comme transnationaux (Guerre du Biafra, fin de la Guerre froide, etc.) viennent en effet bousculer la structure sociale du Cameroun, dont certains sont causes comme effets de nouvelles narrations de la question anglophone devenue, déjà à cette époque, un problème latent (Konings 1996 ; Konings et Nyamnjoh 2003). C’est, entre autres exemples, dans les années 1990 que se développent les premières opérations « villes fantômes », que les premiers partis politiques et conférences multisectorielles se créent pour discuter d’une meilleure décentralisation du pouvoir, et qu’une première déclaration d’indépendance de l’Ambazonie est symboliquement proclamée le 1er octobre. En retour, les dissensions politiques internes observées aujourd’hui entre fédéralistes et sécessionnistes se cristallisent (Keutcheu 2021). Depuis l’avènement de Biya, le « bruissement des paroles qui précèdent et suit le cours historique du récit », comme l’écrit Bazin (2008, 291), est accompagné par des actes précis, symboliques comme violents.

 

Cette nouvelle tangente du récit, à l’orée du XXIe siècle, participe ainsi à la compréhension de la configuration actuelle d’une crise violente et diffuse, où ce ne sont pas deux groupes homogènes, basés sur les langues coloniales, qui s’affrontent, mais plutôt des groupes d’acteurs en tension qui portent une certaine version du récit à partir de stratégies narratives particulières et situées (Trépied 2015). Le refus de Biya de répondre concrètement aux multiples narrations, qui sont devenues pourtant de plus en plus violentes au cours de son mandat, laisse entrevoir l’idée que le Président s’appuie sur la question latente pour renforcer l’État unitaire et sécuritaire (Minteu-Kadje et Premat 2019). Les nombreuses stratégies qu’il a mises en œuvre, comme l’organisation de dialogues nationaux, la demande d’intégrer le Commonwealth concrétisée en 1995 ou encore la refonte de la Constitution en 1996 (Konings 1996 ; Torrent 2005), n’ont comme effets que la transformation et l’adaptation de la mise en récit : à chaque nouvelle narration s’ajoutent ou s’ajustent des éléments du temps long comme du temps court en regard de la « structure de la conjoncture » du moment (Sahlins 1989, 131).

Des silences et des absents?

 

Je reviens finalement sur ma considération initiale, à savoir que la question anglophone ne semble pas avoir eu une grande signification pour les Francophones bien qu’elle n’a cessé de secouer le pays et qu’en réponse, des politiques ont été spécifiquement adoptées. Or, comme je l’ai illustré, les dits Francophones représentent un groupe constitué, une « communauté imaginée » (Anderson 1991), surtout aux yeux des Anglophones et, dans une moindre mesure, aux yeux de l’État. La diversité à d’autres échelles d’observation rend plutôt compte d’une multitude de jeux d’appartenances, notamment celles constituées à l’aune du régime colonial. Dès les années 1950, au Cameroun français, c’est la question des identités ethniques qui pose problème, entre autres pour l’organisation du pouvoir (Mbembé 1986). Le Cameroun méridional réunifié en 1961 n’est alors qu’un « ajout ethnique » supplémentaire (Konings et Nyamnjoh 2003). Cette vision de leurs relations sociales s’ajoute ainsi à l’incommensurabilité (à l’échelle globale) des Anglophones et des Francophones dont la question transversale des rapports de pouvoir ne semble pas pensée ni vécue selon les mêmes régimes d’appartenance (Keutcheu 2021).

 

C’est à la lumière de ces tensions internes issues du colonialisme français que se forge ma compréhension du silence actuel des Francophones. En effet, si les Anglophones commencent la mise en récit de leur marginalisation en réponse au régime centripète et assimilationniste d’Ahidjo, des milliers de Francophones ont aussi souffert de ce régime totalitaire dont des dispositifs précis se sont attachés à eux. L’un d’eux me semble le plus à même de répondre à mon questionnement : la censure de la mémoire. Si l’expérience d’événements historiques dramatiques comme la guerre du Cameroun et la colonisation ont produit des mémoires différentes, certaines mémoires, principalement celle de l’État, s’imposent au détriment des autres, qui deviennent taboues. La mémoire du passé encadrée par Ahidjo a été imposée d’une main de fer par sa volonté politique et symbolique de créer un nouveau pays, sans toutefois s’éloigner de la Françafrique. Pour ce faire, il lui a fallu criminaliser l’histoire contemporaine et les mémoires des populations locales (Mbembé 1986). Je ne dirais pas qu’il y a eu des déformations historiques, comme dans le cas de la Seconde Guerre mondiale et de la mémoire gaulliste (Haegel 1990), mais il y a vraisemblablement eu une « silenciation » historique, voire une certaine amnésie structurelle, sur les efforts qu’ont déployés les habitants du Cameroun français pour parvenir à leur indépendance (Mbembé 1986). Malgré cette réduction au silence, comme je l’ai dit plus haut, ces mémoires se sont tout de même transmises de génération en génération. Mais le tabou imposé par Ahidjo a persisté sous Biya du fait, notamment, qu’il s’ancre dans le même régime. Sa légitimité politique et historique ne repose donc pas sur ces mémoires, bien au contraire (Konings 1996).

 

Ce faisant, comme le soulignent Ben Hamouda et Ramondy (2015) et Bazin (2008), un mécanisme d’historisation peut transformer graduellement le sens des récits transmis qui en viennent à être de moins en moins subversifs et réprobateurs du politique. C’est ce qui semble être le cas au Cameroun où les mémoires remodelées incitent les Francophones à développer une peur ou un évitement des mobilisations politiques violentes (Crisis Group 2010). Cette peur se traduit, à mon sens, par leur absence active de la question/crise anglophone. Pareillement, il me semble que le silence et l’absence des Britanniques s’inscrivent dans le même raisonnement de ce régime mémoriel : les transformations sémantiques du récit anglophone ont atténué la place et le rôle des Britanniques pour ne conserver qu’une appartenance à leurs traditions en réaction aux autres et aux conjonctures spécifiques.

 

Discussion

 

En somme, en retournant à la genèse historique de la crise anglophone puis en retraçant le fil de production de son récit dans différentes situations clés, j’ai dégagé comment les groupes sociaux au Cameroun se rendent intelligible la question anglophone, tout en se l’appropriant. Ces réappropriations m’apparaissent alors liées aux effets systémiques de la situation coloniale « à trois régimes » – allemand, britannique et français –, qui s’incarnent de manière distincte dans les mémoires transmises ou non au cours, cette fois, d’un même régime postcolonial. La construction du récit au cours de ces décennies constitue ainsi un narratif porteur d’un « savoir sur les rapports de force structurant l’ordre politique et social local » (Trépied 2015, 146). La problématique de la colonisation n’y est pas nécessairement le cœur de l’univers du sens du ressenti anglophone. En fait, la situation sociale de la crise anglophone n’apparaît ni soudaine, incompréhensible ou téléologique. Elle répond à l’équilibre toujours provisoire des relations sociales au Cameroun : sa structure sociale globale. Cette dernière est le produit d’une histoire singulière et fragmentée par une triple colonisation qui a produit différents contextes amenant les acteurs à réinventer des causes anciennes dont le narratif s’est graduellement teinté d’un malaise identitaire non résolu au lendemain des indépendances. La violence actuelle et la longueur inusitée de la crise, comparativement à ces précédents référents, seraient le signe d’une renégociation d’un nouveau rapport à l’ordre politique et social au Cameroun.

 

De la sorte, cette contextualisation historique met bien en exergue la recherche d’une nouvelle intelligibilité par tous les acteurs sociaux à partir d’une confrontation du passé, du présent et de l’avenir (Bensa et Fassin 2002). Dans cette confrontation, certains des éléments précédents de la narration, comme un dialogue national, échouent aujourd’hui et semblent forcer une nouvelle mise en récit de la question anglophone.    

 

Des régimes d’historicité aux mémoires en équilibre toujours provisoire

 

En définitive, je propose une nouvelle réflexion. Comme Wachtel (1967) qui réfléchit aux différents contextes qui favorisent la conservation de la mémoire, mon enquête s’est intéressée à certains contextes de l’histoire coloniale comme postcoloniale du Cameroun dans lesquels se sont nouées des conditions d’historisation particulières incitant des processus mémoriels de sélection, de déplacement et de correction de la question anglophone. Est-ce que l’histoire particulière du Cameroun, dans laquelle se sont juxtaposés trois régimes coloniaux et se concurrencent des mémorielles plurielles qui guident les discours et les actions de leurs porteurs, n’aurait-elle pas institué des régimes d’historicité distincts au sein de la société globale ?

 

Pour reprendre la théorie d’Hartog (2003, 19), c’est comme si, en bouleversant l’historicité des sociétés indigènes, les régimes coloniaux ont induit des régimes d’historicité qui s’observent dans la dissemblance des « modalité[s] de conscience de soi » et « des formes de l’expérience du temps » des communautés anglophones et francophones. Je dis bien bouleverser, car, à l’instar de Bayart et Bertrand (2006), l’hétérogénéité des temps coloniaux et de leurs trajectoires respectives n’ont pas annihilé ce qui était déjà en place. Toutefois, ma recherche dans le sens et le non-sens (Stoler 2002) de la question anglophone suppose qu’une certaine hégémonie s’est instituée au bénéfice de l’historicité des États coloniaux respectifs. Dans une telle perspective de lutte hégémonique[22], il est alors nécessaire de reconnaître toute l’agencéité des acteurs dans l’établissement des régimes d’historicité et de leurs nuances locales.

 

Je m’appuie ainsi sur l’idée de Bertrand (2008) lorsqu’il propose qu’il puisse y avoir une coprésence de régimes d’historicité distincts. La cohabitation de colonisés et de colonisateurs qui ne vivent pas « dans les mêmes ‘ordres du temps’ » serait, dans l’unité camerounaise, celle de deux groupes colonisés qui ont « vulgarisé » leurs régimes respectifs selon les termes culturels locaux (Bertrand 2008, 12). Même si la diversité est au cœur de la réalité sociale du Cameroun, à toutes les échelles, catégories et époques, cette expérience du temps divergente amène Francophones et Anglophones à interagir selon des modes de pensée et d’action différents (Hartog 2010). C’est ce qui, selon moi, nourrit la mise en récit et la mise en action particulières de la question anglophone. Les premiers, en raison d’un État qui est issu du même régime colonial et en dialogue toujours très serré avec la France, semblent davantage s’inscrire dans le régime du présentisme, à l’instar des autres États-nations « confinés » dans le présent (Hartog 2010, 769). À l’inverse, les seconds n’ont d’autres choix que de s’appuyer sur le passé pour survivre dans leur présent, faute de pouvoir s’emparer totalement de leur avenir.

Dans les deux cas, les contextes se sont cristallisés dans les comportements des acteurs et provoquent des difficultés de communication, voire de gestion des conflits (Bensa 2006). Fabian (2006) ne dit-il pas que le Temps partagé intersubjectif est une condition nécessaire à la communication ? Comme Stora le met en évidence pour le cas de l’Algérie, la monopolisation d’une certaine mémoire et le déni d’autres peuvent provoquer le « durcissement de la mémoire » lorsqu’il y a sortie de l’oubli, du silence (Grégoire et Hemai 2007, 33). Les postures de cloisonnement mémoriel durcissent en retour l’appartenance communautaire, personnelle et individuelle. Le risque est alors grand que ces groupes porteurs de mémoire s’accrochent à des visions mythifiées de leur histoire et, dès lors, que « ceux qui ne sont pas dans cette histoire ne [puissent] pas y entrer » (Grégoire et Hemai 2007, 33). Sans un même régime d’intelligibilité pour organiser les différentes temporalités locales et les mémoires plurielles taboues, marginalisées ou concurrentes, les conditions d’éclosion de conflits tendent à s’inscrire dans la structure sociale du Cameroun.

 

En continuité avec Naepels (2013), qui montre comment les versions d’histoires concurrentes qui persistent dans le temps permettent de comprendre l’historicité des conflits aujourd’hui, j’ajoute que les luttes mémorielles en jeu permettent en retour à ces conflits de perdurer dans le temps. À cet égard, Ben Hamouda et Ramondy (2015) rappellent que le travail effectué conjointement par les États et les groupes porteurs de mémoire « d’en bas » pour franchir les différends mémoriels a favorisé la consolidation des États-nations africains jusqu’alors fragmentés politiquement, socialement ou historiquement. Or, dans le cas du Cameroun, cette consolidation ne semble pas à l’ordre du jour ; les mémoires continuent d’être niées et le passé d’être dévalorisé. Dans ce contrôle des mémoires, qui renforce un gouvernement bafouant le dialogue entre groupes intercommunautaires, la crise actuelle révèle des rapports de savoir/pouvoir mémoriels qui invitent à poursuivre l’interrogation.

 

Notes

[1] Si l’on observe la démographie du Cameroun d’un point de vue des langues coloniales, les locuteurs de langue anglaise représentent 17 % de la population totale contre 83 % de langue française (CLMC 2021). Néanmoins, dans ce texte, j’entends « Anglophones » d’un point de vue géographique puisque, comme l’avance Koungou (2018), l’appartenance anglophone, au Cameroun, se définit surtout vis-à-vis de l’origine régionale d’une personne. Si elle est née dans la région du Sud-Ouest ou du Nord-Ouest, anciennement colonisées par les Britanniques, elle sera considérée comme Anglophone.

[2] Ce texte n’est en rien le fruit d’une analyse micro-historique étant donnée l’inaccessibilité de sources primaires et diversifiées (Ginzburg et Poni 1981). Il démontre toutefois la pertinence de mener une enquête micro-historique tant l’approche macro est prépondérante dans l’historiographie du Cameroun ; à voir comme une invitation !

[3] Les « villes fantômes » ou « villes mortes » réfèrent à la stratégie politique des groupes sécessionnistes de fermer tous les services d’une ville et d’empêcher tous les habitants de sortir de leur demeure afin de mettre l’économie à mal et faire pression sur le gouvernement (Crisis Group 2010).

[4] En référence à Gluckman (1940) et Balandier (1951), dans l’optique de donner attention aux différents contextes, processus et relations de pouvoir qui se superposaient et étaient « en train de se faire », je conçois les « situations sociales » comme les configurations des relations sociales dans un temps et un lieu donnés. Avec l’approche du récit historique, un tel angle permet de m’interroger sur les relations entre les différents narrateurs (claimsmakers Anglophones) et les publics (État, gouvernements coloniaux, etc.), mais aussi les tiers in absentia (Francophones, etc.) dans la synchronie comme dans la diachronie.

[5] Selon l’article 22 du pacte de la Société des Nations du 28 juin 1919, le régime international du « mandat » s’appliquait aux « colonies et territoires » qui, d’une part, à la suite de la guerre, avaient « cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient précédemment » et qui, d’autre part, « étaient habités par des peuples non encore capables de se gouverner ». Le régime de « tutelle », institué en 1945 lors de la création de l’ONU, a accordé plus de droits aux anciennes colonies et territoires, et s’inscrit dans la volonté de l’ONU de mettre graduellement fin à la colonisation (Crisis Group 2017, 2).

[6] Les Britanniques ont successivement enlevé les frontières entre les deux entités en 1946, ont périphérisé l’économie du Cameroun en le privant de fonds de développement pour laisser toute la place aux plantations établies durant le protectorat allemand et l’ont toujours administré depuis le Nigéria (Konings 2005).

[7] La France obtient près de 432 000 km2 et le Royaume-Uni acquiert 89 000 km2 qu’il divise entre le Cameroun septentrional et le Cameroun méridional (Torrent 2005).

[8] Konings (2005, 280) montre comment les leaders nationalistes camerounais ont profité de la position dominante des Igbo nigérians au Cameroun méridional et, de son corolaire, la frustration de la population locale pour créer une « peur de l’Igbo » afin d’acquérir le soutien de celle-ci dans leurs revendications auprès des Britanniques.

[9] Pour reprendre Mbembe (1986, 40) : « La colonisation ouvre au Cameroun un marché de choix possibles. De fait, les acteurs indigènes de l’époque construisirent des stratégies différentes et parfois contradictoires, dans le but de répondre, sur la base de leurs intérêts, aux défis auxquels les soumettait cette conjoncture historique inédite ». Bayart et Bertrand (2006, 142) ajoutent qu’en tant que sociétés politiquement soumises et militairement occupées, les sociétés colonisées ont « développé des répertoires d'action enclins à la ruse, à la dissimulation et à la dérision ».

[10] L’histoire de l’implantation de religions non ancestrales met en lumière une distinction assez nette entre le nord et le sud, le premier ayant une appartenance à l’Islam, le deuxième affichant une pluralité d’appartenances chrétiennes (Lasseur 2005).

[11] Même si je n’aborde pas la question des églises dans le cadre de ce travail, cette dimension apparaît caractéristique du processus d’historisation de la question anglophone et de son actualisation (Bayart 1973 ; Crisis Group 2017 ; Machikou 2018).

[12] Cette correspondance s’ancre dans le contexte de la Quatrième Commission des Nations Unies. Il s’agit de l’une des six grandes commissions de l’ONU qui portait spécifiquement sur la décolonisation, car « [a]vant la 48e session, la Quatrième Commission ne s'occupait que des questions de décolonisation ». Voir « Documents de l'ONU : Assemblée générale », accessible à : https://research.un.org/fr/docs/ga/committees (consulté le 27 novembre 2021).

[13] Comme le souligne Koungou (2018), il ne faut pas non plus homogénéiser les supporteurs de l’UPC qui appartenaient à différentes ethnies, elles-mêmes attestant de divergences du fait de leur situation géographique.

[14] Il s’agit de la colonie française subsaharienne où se trouvaient le plus grand nombre de colons français. De plus, plusieurs groupes de colons européens y avaient trouvée racine en raison des opportunités économiques dans les plantations et grâce au mandat de la Société des nations qui facilitait l’immigration des ressortissants non français (Crisis Group 2010).

[15] Le nombre de morts, selon les sources historiques lacunaires, est estimé entre 20 000 à 120 000 décès (Deltombe, Domergue et Tatsitsa 2011).

[16] L’armée française demeura présente sur le territoire jusqu’au procès du dernier chef upéciste et après avoir complètement maté l’insurrection des populations bamilékés. Ce fut par un accord signé entre Ahidjo et l’armée française que l’ancienne Métropole institua sa politique néocoloniale (Deltombe, Domergue et Tatsitsa 2011).

[17] Un exemple assez frappant et illustratif est l’auto proclamation de John Fru Ndi, fondateur et chef du SFD, comme étant le descendant spirituel de Ruben Um Nyobé, fondateur et chef de l’UPC francophone.

[18] Alors que Foncha et Ahidjo devaient négocier cette union en regard des attentes et des limites imposées par l’ONU, au ras du sol, des unions étaient créées de manière transfrontalière, notamment sur la base des liens ethniques et géographiques (par exemple pour précariser la puissance du Nord d’où provenait Ahidjo). À plusieurs reprises, les terres du Cameroun méridional furent ainsi un lieu de protection pour les maquisards upécistes (Awasom 2002). 

[19] Voir entre autres : Afroze 2020 ; Awasom 2008 ; Keutcheu 2021 ; Koungou 2018 ; Machikou 2018 ; Minteu-Kadje et Premat 2019.

[20] Depuis 1985, le parti a été renommé Rassemblement démocratique du peuple camerounais.

[21] Dès 1962, Ahidjo a utilisé des camps de concentration où ont disparu des dizaines de milliers de Camerounais (Eboua 1995).

[22] L’idée d’une lutte hégémonique me semble plus appropriée qu’une domination, car, comme le présente Hartog (2003), un tel régime n’est jamais totalement instauré. 

Remerciements       

Je voudrais tout d'abord remercier Marco Cirino pour nos vifs échanges sur la notion de crise et sur ses potentialités communautaires. Je suis également reconnaissante envers Sarah-Anne Arsenault, Catherine Audard, Erika Nimis et Dillon Hatcher pour  leur relecture attentive, ainsi qu'envers Cynthia Lazzaroni pour son accompagnement éditorial et Natacha Gagné, professeure du séminaire duquel sont nées ces réflexions. Finalement, cet article s’appuie sur des recherches financées par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et par la Canadian Federation of University Women.

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